lundi 13 mai 2019

Lisez Bordel ! #3 : La Grille de la Fantasy

Pour une fois dans cette section je ne vais pas parler d’un livre en particulier, je vais parler … de moi. Oui ça peut sembler nombriliste dit comme ça, mais je vous assure que j’ai une vraie raison de le dire. Et vous en aurez une vraie de ne pas m’aimer à la fin si jamais vous ne pensez pas comme moi, tout le monde est gagnant non ? Quand j’étais adolescent j’avais une seule et unique grande passion littéraire : l’heroïc fantasy. Et ça m’a suivi jusqu’à mes 18 ans je dirais. L’ennui c’est qu’un genre à la longue on le connait, et si on n’arrive pas à se renouveler au sein de celui-ci l’intérêt se tarit. C’est ce qui s’est passé pour moi et j’ai reporté mes goûts sur le roman policier pendant quelques temps avant d’également épuiser le filon là. Comme quoi y’a des choses qui ne changent pas. Mais revenons-en à la fantasy voulez-vous. C’est un genre que la plupart des gens connaissent, parfois superficiellement vu qu’ils se sont arrêtés aux films du Seigneur Des Anneaux et auquel on a tendance à associer des clichés assez tenaces. Et réducteurs il faut le dire. Comme un peu tous les genres si on les observe d’un œil extérieur. Cela dit je ne suis pas celui à qui vous devez demander de vous initier au genre. Déjà parce qu’il est largement trop vaste pour qu’une chatte y retrouve ses petits, alors moi dans le genre … Et ensuite parce que c’est aussi à vous de trouver votre voie et faire des fouilles. Moi je n’entends que parler de livres que j’ai aimé, c’est déjà bien assez comme ça croyez moi. Enfin je dis ça … dans ce présent article je vais me contenter de parler de ma façon d’apprécier et d’évaluer le genre. C’est pas compliqué j’ai mes trois piliers :

Le représentant le plus connu, parfois hélas,
Le style : Ça peut paraitre bateau à certains, mais pas moi. Je pense qu’un paquet de profs de français ont froncé les narines face au style parfois assez nazes que peuvent avoir certains auteurs de fantasy (essayez de souffrir les pensums objectivistes de Terry Goodkin vous comprendrez …) et ils ont bien raison, quand bien même c’est des snobs. Je le sais, ma prof de littérature en IUT en était une qui désignait ça comme “de la littérature de genre”, et on sait qu’elle aurait parlé d’une gangrène de la jambe avec le même amour dans la voix. Mais laissons les souvenirs du passé derrière nous … Le fait est que si vous écrivez avec le style du bottin, votre histoire va être gonflante et la motivation de suivre aux abonnés absents. Prenez Georges R. R. Martin par exemple. Le mec est à la base un scénariste et ça se ressent cruellement : son style est pauvre, qui plus est pas aidé par la traduction française, et franchement il n’y aurait pas eu la proposition novatrice qu’était à l’époque Le Trône de Fer je pense que pas grand monde aurait pas suivi et que ça n'aurait pas été le phénomène que c'est aujourd'hui. Bon après je dis ça, faites gaffe à pas non plus trop en faire hein … Pour moi j’ai un très bon représentant de ça qui en fait largement trop. Je demanderai donc aux vieux de la vieille de s’agripper à leur fauteuil : pour moi Tolkien est coupable de ça. Dieu sait que je me bats avec mon père là-dessus, lui est un grand fan. Mais faut cinq minutes arrêter la vénération béate : Tolkien était un universitaire et un linguiste, qui a utilisé son univers comme un produit de travail universitaire et linguistique où il écrivait un mythe “local”, mythe au passage fortement inspiré par des kilos de traditions européennes. Dont notamment Beowulf et les légendes celtiques et scandinaves. Et pour paraphraser une collègue qui l’a lu en anglais y’a peu “il a dit mille synonymes pour parler de feuilles ce con !”. Perso j’ai capitulé à chaque tome du Seigneur Des Anneaux, et je n’ai aucun complexe à ça. Rappelez-vous que le style porte votre histoire, et parfois il peut faire accepter bien des choses qui sont apparence très chiantes. Prenez par exemple la nouvelle Le Quai des Étoiles de Fritz Leiber (que je ne saurais que trop recommander, Le Cycle des Épées nom de dieu !), les deux tiers se composent des héros qui escaladent une montagne, en essuyant des intempéries, en prenant soin de leur lynx des neiges et … en grimpant. Pourtant le talent de Leiber fait que vous continuez à lire et ce avec toujours autant d’intérêt. Voyez le style comme un moteur : il va vous porter plus loin s’il marche bien, qu’importe que votre carrosserie soit laide. Ce qui me fait rebondir sur ...

Fritz Leiber, fils de Fritz Leiber, un des padré du game
L’univers : Le but de la fantasy, parmi d’autres, c’est quand même de faire rêver. Et si jamais votre univers “fantastique” consiste en le fait de changer trois noms et où les légionnaires gudlus menés par le général Caesion se battent contre les barbares altwiqs on va pas aller bien loin. Un grand fautif de ça que j’ai lu dernièrement c’est Jean-Philippe Jaworski que ma sœur m’avait vendu avec forces louanges et moult accolades … et pis je me suis fait chier. Je pourrais parler de son style qui en fait trop en prenant trop de temps sur chaque élément d’intrigue, mais ce serait injuste, ce type sait se servir de la langue française. Son réel souci c’est juste d’avoir une Venise/Florence fictive avec des celtes pas loin, et ici et là se disputent trois petits trucs “magiques” et un elfe qui est là parce que … on ne sait pas trop, il sert quasi à rien dans l’histoire. Honnêtement, je ne rêve pas beaucoup là-dedans. Et c’est pareil si vous peuplez votre monde de version bagnole volée des elfes de John Ronald évoqué plus haut, ce sera tout aussi emmerdant. Je m’avance peut-être un peu, ça vaudra éventuellement un article de mea culpa, mais je suis actuellement dans la trilogie des Fils-des-Brumes de Brandon Sanderson. Et là je dis oui, quand on me propose un univers où la magie fonctionne selon quel type de métal on utilise pour faire une réaction propre à chacun. Le tout avec des branches bien définies et des possibilités bien exploitées (par exemple le héros utilise l’attraction et la répulsion magnétique pour se propulser et “voler” dans les airs en lançant des pièces ou en s’amarrant aux cheminées). Rien ne me dit que tout le reste ne sera pas fécal mais les 100 pages lues pour l’instant me bottent bien. Si je devais parler d’une valeur un peu plus sûre, j’avais beaucoup aimé Les Mensonges de Locke Lamora de Scott Lynch. Où l’on a effectivement une sorte de république vénitienne décadente … mais bâtie sur les ruines de précurseurs assez mystérieux, avec des aperçus ici et là de magie et autres choses fantastiques (dont des requins bicéphales ultra flippant qu'on exhibe dans des combats de gladiateurs sur plateformes dans l'eau) discrètes mais qui suffisent à rester en tête et mettre l’eau à la bouche. Si le style est un moteur, voyez l’univers comme une carrosserie, qui peut être plus ou moins belle. Et vous savez où tout ça nous amène


 D’abord à cette vidéo qui m’a fait beaucoup rire et sert mon propos

L’intrigue : La question qu'on se pose souvent quand quelqu’un vous raconte un truc c’est de savoir si ça vaut la peine de l’écouter. C’est d’autant plus vrai quand on est face à un médium narratif comme la littérature (ou le cinéma mais là ce n’est pas mon propos). Quand j’évoquais les lieux communs de la fantasy en intro, c’est ici que l’on voit se battre les héritiers du royaume face au sorcier démoniaque, aidé par un vétéran bourru qui a en fait un cœur d’or et un lourd passé dont il a honte. Et pareil, si jamais votre chapitre se finit sur des points de suspension alors qu’un personnage révèle qu’il a la marque occulte sur le dos de la main lui aussi. Et dans le style on a aussi des magnifiques recycleurs. David Gemmell, paix à son âme, était un grand expert du copier/coller des plots. La quantité de forteresses attaquées, d’assauts désespérés en mode perdu pour perdu, de troupes d’assassins redoutés lancés aux trousses du héros est incroyable dans ses bouquins. J’en sais quelque chose, j’en ai lu 17 ! Dans un cas totalement inverse Robin Hobb a toujours su me balader où elle voulait, et tout du long des Aventuriers de la Mer, je n’ai rien vu venir tant elle jonglait admirablement entre ses différents personnages et reliant subtilement les fils des sous-intrigues. Je ne saurais d’ailleurs que trop vous en recommander la lecture, ce sont de beaux pavés mais qui valent le détour. Je pense que c’est aussi ce qui a fait le gros succès du Gros Georges à l’époque, quand on a découvert Le Trône de Fer et la shock value de tuer des personnages en prenant le lecteur à contrepied. Bon hélas aujourd’hui le gimmick est éventé et plus grand monde n’en a quelque chose à foutre mais ça a été marquant.

Après je tiens à préciser un truc avec cette grille : elle n’a aucune valeur. Je vous vois lever un sourcil perplexe, si c’est peanuts, pourquoi est-ce que je viens d’en parler longuement et en détail ? Déjà parce que ce que je viens de dire est une formule pour la provoc’, je l’assume parfaitement. Et ensuite parce qu’en tant que tel, si ces critères sont “importants” pour moi, ils ne sont en rien des indicateurs de la valeur d’un bouquin. Parce qu’une histoire, certes, se jauge, mais avant tout elle se vit et s’apprécie. Comme le disait Robin Williams dans le très beau Cercle des Poètes Disparus : “Est-ce qu’on évalue la littérature comme dans le dernier hit-parade ?” (Oui désolé j’ai pas retrouvé l’extrait sur Youtube). Et bien là c’est pareil. Ce qui compte c’est votre plaisir de lecteur et ce qui vous touche et vous parle. J’ai cité David Gemmell un peu avant et, nom de Dieu, tous ses livres se ressemblent. Pourtant j’en reprends volontiers par brouettes entières, parce que son monde et ce qu’il raconte me plaît, que c’est ce que j’aime. Bien plus par exemple que la fange perpétuelle d’un Richard K. Morgan qui offre un univers plus original que lui (même si j'aime bien Richard K. Morgan, c'est juste qu'il en fait trop). Ou alors prenez Stan Nichols et ses deux trilogies : Orcs et Vif-Argent. Dans le premier les peuples non humains locaux et polythéiste se frittent contre des humains venus de par-delà la mer monothéiste, oui c’est très subtil comme métaphore … Dans l’autre on a un monde entier dont les classes sociales sont déterminées à partir du degré de magie et de charmes que l’on peut se payer. Normalement le second devrait l’emporter sur le premier en terme d’originalité et donc de qualité. Faux, Orcs m’a laissé un bien meilleur souvenir et je le recommande encore aujourd’hui quand j’en parle à des amis. Ou alors Jean Laurent Del Socorro, un auteur français que j’ai découvert y’a peu. Son Royaume de Vents et de Colères se déroule dans une Guerre de Cent Ans à peine différente de la nôtre, il a juste ajouté une forme de magie à l’usage très restreint. Mais juste ça et son style font que le tout est captivant et me reste en tête dès la première nouvelle du sieur que j’ai lu. Lisez le aussi, avec sa nouvelle qui complète le bouquin : Le Vert est Éternel. Et Robin Hobb aussi, vraiment hein. Et dites-vous bien que je me limite à parler de fantasy “pure”, sans aborder les dérivés tel que la low ou l’urban qui est un de mes styles favoris. Ça attendra peut être un autre article, qui sait. En attendant …

Lisez bordel !

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