lundi 16 décembre 2019

Lisez Bordel ! #4 Patrick Rothfuss et la puissance du héros

J’ai un tout petit peu évoqué le monsieur quand j’ai fait mon Too Cool to Use #5. Je suis par contre incapable de préciser me rappeler où je l’ai découvert exactement. D’une certaine façon ça me frustre, j’aime bien retracer mon cheminement culturel. Possible que ce soit sur un panel de convention où il était invité avec Jim Butcher (lisez le, c’est vachement bien, je le répète). Je sais néanmoins que j’ai mit la main sur son œuvre par le téléchargement d’un pack d’epub de 1 giga trouvé sur Bookys. J’y ai pioché pas mal de trucs (L’abyssalement fécal Sœurs de Sangs de Mercedes Lackey, la sympathique Nuit de la Lune Bleue de Simon R. Green, Gene Wolfe qui traîne encore, tout Patricia Briggs et Scott Lynch, j’en parlerai ou pas plus tard de ceux-là) et que ça a pris la poussière sur mon téléphone pendant facilement un an. Oui je lis mes epubs sur mon téléphone et je le vis bien, c’est un des rares trucs que j’ai tout le temps avec moi, un bouquin grand format ou une liseuse ça ne tient pas dans une poche de pantalon, ou alors vous avez des cargos de la taille d’une tente. Enfin bref …

Ayant une soif avide de connaissance l’année en question fut occupée notamment à nourrir mon cerveau de bien des choses (y’a aussi mon travail, je suis un employé sérieux, ne croyez pas le contraire) je suis retombé quelques fois sur des mentions du sieur Rothfuss, un des commentateurs désignant son personnage principal comme une Mary-Sue complétement pété bon à tout et infaillible à chaque défi. Ça m’a refroidi un peu mais j’ai décidé de donner sa chance au bouquin et ne pas le supprimer cash de ma bibliothèque. Et puis à continuer de regarder Critical Role j’ai vu son caméo, m’étant pris d’affection pour le personnage qu’il incarnait et l’individu derrière (le passage de sa lettre à Keyleth est un sacré moment), je me suis dit qu’il fallait bien se lancer dedans. Ce que j’ai fait en février 2019 (je donne la date histoire de, je ne sais jamais quand je publie ou non ce que j’écris) et ça m’a pris une semaine et demi à lire 800 pages. Autrement dit j’ai beaucoup aimé et j’ai retourné la chose dans ma tête plusieurs fois. Et effectivement après quelques semaines de réflexions j’ai réussi à mettre le doigt sur ce qui a fait dire ça aux gens. Accrochez-vous, on plonge dans une longue discussion sur les personnages et leur puissance !


Pour être tout à fait franc avec vous, je caressais l’idée d’aborder ce sujet depuis 2018 quand j’avais lu L’Âge des Assassins de R.J. Barker, qui est un bouquin honnête mais pas non plus surpuissant. Lequel met en scène Girton, un assassin qui a dans la quinzaine plongé dans une intrigue politique au sein d’un château où les faux semblants occupent plus de place que les gens eux-mêmes. A l’époque je me souviens m’être fait la réflexion qu’en terme de puissance c’était un personnage intéressé parce que “équilibré”, sa technique et son expertise lui offre souvent la main haute dans des affrontements classiques, mais le fait qu’il soit jeune et donc loin d’être aussi fort que des adultes et affligé d’un pied bot le rende beaucoup moins invulnérable qu’on ne le pense au premier abord. Comparé à des bouquins comme ceux que David Gemmell où tout le monde est soit un badass intuable ou un novice qui doit apprendre à devenir un badass ou mourir dans une tentative foireuse mais souvent héroïque. Ou chez George R.R. Martin où l’expertise importe bien peu vu que qui que vous soyez vous allez mourir de façon humiliante et potentiellement gratuite. Néanmoins il n’y a pas grand-chose de plus à en dire, L’Âge des Assassins est un livre moyen dont je n’ai pas gardé énormément, pas pour rien qu’il n’était pas dans mon top littéraire de 2018. J’avais néanmoins besoin de contextualiser ça avant de commencer. Parce qu’une figure récurrente dans la littérature, en général provenant des critiques en tout genre (à tort ou à raison) est celle de la Mary Sue que j’ai évoqué un peu plus tôt. Pour ceux qui ne connaissent pas le terme est né dans les années 70, venant d’une fan de Star Trek du nom de Paula Smith, lassée des fanfictions de merde mettant en avant les personnages “originaux” de jeunes auteurs très très amateurs. Dans un fanzine dont elle était l’éditrice elle y écrivit les aventures du lieutenant Mary-Sue sur l’Enterprise, où elle y fait tout mieux que tout le monde. Le terme est resté ancré dans les mémoires avec le temps pour désigner un personnage gâté par la narration auquel rien ne résiste et sans aucun défaut ou des défauts qui n’en sont pas tant que ça. Des exemples célèbres du genre si vous voulez vraiment : Drizzt Dro’Urden, Bella Swann, Wesley Crusher (pour ceux qui connaissent Star Trek, encore une fois) et si vous aimez Warhammer 40 000, Kaldor Draigo. Et je ne parlerai pas de cas plus récents parce que, comme dit mon bon ami Skoeldpadda “internet aime l'utiliser pour qualifier tous les persos qu'il trouve "trop" ” et ça va pas plus loin. Et je suis assez d’accord avec lui sur la question, suffit de voir les énormes débats qui ont déferlé sur le personnage de Rey dans la nouvelle trilogie Star Wars.

La question que je me suis longtemps posé dans cette histoire c’est pourquoi cette haine ? J’ai fait mes fouilles archéologiques littéraires et je pense qu’on peut extraire plusieurs raisons. La première est à l’origine même de l’existence du lieutenant Mary-Sue à l’époque, à savoir la tendance qu’ont beaucoup d’auteurs (amateurs ou professionnels d’ailleurs) à mettre un personnage qui est eux ou pire une version fantasmée d’eux. Soyons tout à fait honnête, à quelques rares cas près (que je n’ai pas encore trouvé) il y a de très fortes chances que ce soit utilisé pour se masturber l’égo et/ou parce que la personne au bout du crayon n’a pas, supposément, le talent d’écrire de vrais personnages. La seconde raison vient d’une habitude devenue un amour, laquelle ? Je pense qu’on a mine de rien un sacré goût pour le modèle développé par Joseph Campbell et son monomythe qui du coup présuppose que le personnage doit rencontrer des difficultés et connaître une courbe de progression marquée d'échecs. Après tout sans écueils ni efforts la victoire est ennuyeuse non ? C’est comme faire un jeu en New Game + en mode facile. D’autant plus que souvent, on caractérise la Mary Sue par le fait que l’histoire se plie à son service et à ses caprices comme si le monde entier était son Deus Ex Machina. Et si on prend tout ça en considération, effectivement c’est compliqué d’obtenir une “bonne” histoire à partir de ça. En ayant ça en tête, plongeons nous dans le vif du sujet : Le Nom du Vent de Patrick Rothfuss, oui on y arrive enfin. Je précise un petit détail d’emblée : je n’ai pas encore lu le deuxième tome La Peur du Sage donc je peux me gourer complètement. Si c’est le cas … bah c’est ballot.

Le Nom du Vent suit les aventures de Kvothe, un personnage légendaire qui se planque dans une bourgade oubliée des hommes et de Dieu, visiblement écrasé par le poids de ce qu’il s’est passé autrefois (assez peu d’informations sur le sujet sont données au lecteur) et bien content qu’on l’oublie. Jusqu’au moment où arrive Chroniqueur, oui c’est sa fonction et il tient à ce qu’on l’appelle comme ça, lequel pousse Kvothe à raconter son histoire. Les trois quarts du bouquin étant donc un flashback narré, le reste se passant dans le présent. Le livre commence avec l’enfance de Kvothe jusqu’à ses seize ans environ. On commence par le fait qu’il a grandi dans ce qui est l’équivalent de forains artistes dans un monde de fantasy, jusqu’à ses études dans une académie où on apprend autant la physique quantique (ou son équivalent) que la magie, en passant par la case mendiant. Et oui, techniquement, tout du long du livre, Kvothe est bourrin comme personnage. Que ce soit sur tout ce qui est théâtral où le fait qu’il est forain fantastique lui donne une énorme expertise (pour sa défense, in univers tous les forains fantastiques de sa tribu sont balaises à ça), puis arrive la magie où il est un petit prodige et j’en passe. Sur le papier, très franchement oui, ça sonne ultra Mary Sue et je comprends parfaitement pourquoi plus d’un a lancé le qualificatif. Mais comme souvent les choses ne sont pas aussi simplistes que oui/non/Sue/PasSue sinon je n’aurais absolument rien à écrire sur ce blog. Parce qu’en soit la puissance du personnage ne fait pas tout. Il suffit de voir à quelles épreuves il est confronté en contrepartie. Et c’est là que, pour moi, Le Nom Du Vent prend sa saveur. Parce que oui Kvothe est pété et pourtant il n’arrive qu’à bien peu de choses. Je m’explique : pendant tout le temps qu’il passe mendiant à Tarbean, au final aucun de ses talents de forain ne lui offre quoi que ce soit, il gèle dans une ruelle et finit par vivre dans le trou d’un toit, là où on s’imagine facilement au départ qu’il va utiliser son instrument pour se faire des sous et remonter la pente. Et c’est exactement pareil quand il est à l’Académie, tout prodige qu’il est, son intellect ne sert qu’à lui mettre les recteurs à dos, pareil pour les autres étudiants, son embrouille avec Ambrose vient de là au départ et son prototype, aussi brillant soit-il, est refusé parce qu’il ne réfléchit pas aux conséquences. Sans compter qu’aussi talentueux qu’il soit pour apprendre et mettre en pratique, l’argent lui manque en permanence pour payer ses semestres. Je ne préterai aucune intention à Patrick Rothfuss mais pour moi la chose est intentionnelle. De même pour la personnalité de Kvothe, il est fier, impulsif et intelligent, en temps normal c’est des traits qu’on retrouve assez facilement dans le genre Marysuvien, et en général l’histoire sert des petits plats en conséquences. Ici Kvothe meurt de faim parce qu’il refuse par orgueil des choses “indignes de lui”, se fracasse la moitié des os en pensant comprendre comme les choses marchent et saute d’un toit comme un idiot (“-Félicitations ! a-t-il dit en me regardant avec une sorte d’incrédulité mêlée d’admiration. C’est la chose la plus stupide que j’ai jamais vue.” page 390). Et sur le plan sentimental il est assez intéressant d’observer que sa romance avec Denna ne l’amène nulle part vu qu’il refuse d’exprimer ses sentiments pour elle, se condamnant à sans cesse la regarder de loin. Une approche de l’histoire d’amour que j’ai beaucoup aimé d’ailleurs. De la même façon le personnage n’est pas impuni, plusieurs de ses amis lui font remarquer qu’il se comporte comme un con (Simon plusieurs fois, Elodin cité plus haut le traite de crétin, chacun de ses visites à Mola est l’occasion pour elle de lui rappeler qu’il fait n’importe quoi et j’en passe) et bien souvent l’histoire est loin de leur donner tort. Le “problème” étant que vu que c’est Kvothe le narrateur, forcément qu’il ne s’y attarde pas autant que sur ses propres exploits.

Un individu de gout a eu la bonne idée d'animer un passage du bouquin donc je vous en fait profiter. Brouillon sur la technique mais y'a une patte dans la direction du truc


Vous aurez compris en me lisant que, très franchement, non je ne classe pas Kvothe comme un personnage de Mary Sue. Parce que l’auteur a suffisamment bien pensé son histoire pour montrer qu’aussi puissant que soit un personnage il peut rester faillible, tant dans ses capacités personnelles que confronté au monde qui l’entoure et à ses règles. Utilisez d’ailleurs cette perspective pour juger d’une œuvre et ses personnages. C’est exactement comme pour Superman que les gens ont facilement tendance à traiter de perso chiant trop parfait et trop puissant. Effectivement c’est le cas quand il est mal écrit, mais si vous voulez un bon exemple, rematez le tout premier film de Richard Donner de 1978. Le temps a fait des ravages dessus et de base c’est pas franchement un grand film mais y’a une scène qui vous tirera forcément les larmes, c’est celle où Jonathan Kent meurt d’une crise cardiaque. Aussi puissant que soit Sup il ne peut rien y faire et se fait la réflexion que ses pouvoirs ne peuvent pas tout changer. Et à sa façon c’est le même principe avec Kvothe. Donc ne soyez pas prompt à juger le Sueisme d’un perso. Lisez pour juger ensuite. Lisez Patrick Rothfuss pour voir de quoi je parle et apprécier sa prose (et respectez sa barbe !). Lisez le pour qu’on en discute.

Lisez Bordel !

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