Je me rends compte, alors qu’on est sur la troisième année d’existence de ce blog, que je n’ai jamais vraiment parlé de jeux vidéos. Ce qui est un peu injuste vu le temps que j’ai passé sur ces trucs, et que je passe encore même si en quantité plus réduite vu ma vie professionnelle. Et figurez vous … que j’ai des opinions sur le sujet. Dingue hein ? Et il se trouve même que je n’ai parfois pas le même avis qu’une majorité de personnes. Comme tous les grands penseurs incompris je présume … Et je me suis dit qu’il serait intéressant de parler de choses imparfaites mais néanmoins attachantes dans le domaine vidéoludique. Oui j’ai bien dit imparfaites. L’honnêteté intellectuelle est une qualité et, j’aime à croire, en ayant une certaine quantité correcte, je dois bien le dire, les jeux dont je vais parler ne sont pas parfaits. Loin de là par moment, ils sont même hautement critiquables sur des points apparents. Mais l’inverse est aussi vraie, ils sont louables sur d’autres et j’ai l’impression que peu ont pris le temps de justement parler de ce qu’ils réussissent à faire ou tentent tout du moins. Et j’ai plusieurs jeux dans mon répertoire qui rentrent dans ces critères. Donc si vous êtes avec moi, je vous invite à bord !
Spoiler : il y a un indice sur le jeu dont je vais parler dans cette image ... |
Et on va se pencher sur le reboot de Thief sorti en 2014, développé par Eidos Montréal. Un joli cas d’école de bordel de développement. La préproduction est en effet lancée en 2009 auprès d’une équipe réduite au sein d’Eidos Montréal tandis que le reste des employés bossent sur le très attendu Deus Ex : Human Revolution (un jeu que j’aime beaucoup, je tiens à le dire). Et directement ça commence à sentir mauvais quand on voit le nombre d’idées qui ont tourné en interne. D’abord une version TPS avec de l’escalade urbaine inspiré d’Assassin’s Creed, ils ont aussi parlé d’un changement total de cadre, d’un nouveau protagoniste et j’en oublie. Faut quand même admettre que ça ne partait pas sur le meilleur des augures. Et malheureusement ils ont persisté. Après avoir plus ou moins décidé que le jeu serait en vue FPS comme ses ancêtres et toujours avec Garrett comme personnage principal, ils ont balancé une démo de gameplay, laquelle montrait un arbre de compétence et une progression à base de points d’expérience. Autant dire que ça a rué dans les brancards pour les fans. En un sens à raison, Garrett a toujours été présenté comme un maître voleur, donc pourquoi le faire réapprendre des choses dans le gameplay ? Face aux retours, Eidos Montréal est allé réviser sa copie, laquelle devait avoir emprunté pas mal de trucs à Deus Ex d’ailleurs, je me souviens qu’il y avait une histoire de points attribués en assommant des gardes. Preuve encore une fois que les bonnes idées ont besoin du bon contexte pour être réellement bonnes. Et du coup le système d’expérience a sauté, même si on retrouve des restes de celui-ci via un système à base de points d’atouts achetables. J’imagine que c’est une autre façon de le faire sans l'appeler comme ça … Et au final, après maintes shitstorm (notamment sur le fait que le doubleur historique de Garrett, Stephen Russel, ne reprenait pas le rôle) et autres revues de presse tièdes, le jeu sort. Et l’accueil n’est pas franchement chaleureux. Bugs, linéarité, intrigue quelconque, tentative ratée d’open world et surtout, la comparaison que tout le monde a fait avec Dishonored sorti deux ans plus tôt. Et … c’est assez vrai comme critiques, hélas. Thief de 2014 est un jeu assez couloir dans ses missions principales (là où les premiers opus vous lâchaient sur une map et vous laissaient y faire le mariole). L’histoire … fait le café on va dire, mais vous n’allez pas pleurer à la fin ça c’est sûr. Les missions sont connectées entre elles par La Cité, qui se veut un hub ouvert où on peut déambuler et voler son prochain tranquillement ici et là. Ce qui serait très chouette si la moitié des axes n’étaient pas bloqués, obligeant à passer par des passages à la con qui sont en fait des temps de chargements déguisés. Et, même si ça m'énerve d’en parler, il souffre de la comparaison avec Dishonored, qui lui laissait faire n’importe quoi dans ses vastes niveaux urbains bien plus verticaux. En bref, quasi tout le monde l’a dit : Thief de 2014 c’était pas une franche réussite.
Et dés qu'on parle de ce jeu internet s'enflamme ... |
Oui mais ! Si j’arrêtais cet article ici ça n’aurait qu’assez peu de sens et je me serai contenté de répéter ce que tout le monde en a dit. Quel intérêt ? Aucun en effet. Il se trouve que j’aime beaucoup ce jeu en fait. Je l’ai déjà dit, cette section a pour but de parler des réussites au sein de l'échec. Et malgré tout, Thief de 2014 arrive à faire des trucs. Tout d’abord, si l’histoire en elle-même n’est pas prodigieuse, le jeu arrive pour la majeure partie de l’intrigue à garder un assez bon rythme. Sur les huit missions principales, aucune n’est trop longue ou trop courte et, s’il y a effectivement des artificialités à ce niveau, elles arrivent à gérer les temps forts et les temps calmes. Et en à côté plutôt sympas il y a les missions de contacts, qui sont effectivement plus sur le modèle des Thief d’autrefois, avec une carte plus ou moins ouverte et un butin à chaparder, sur des plus petites cartes il est vrai, mais quand même. Et je suis sûr que même les gens qui n’aiment pas le jeu admettront que le niveau de l’asile est super bien fait. J’ai eu des flashbacks de l’Ocean House Hotel de Vampire : Bloodlines en le faisant, c’est pour vous dire. Un autre point très réussi, pour moi tout du moins, c’est l’ambiance. Là où les précédents opus étaient dans un ton assez médiéval, avec des touches de mécaniques ultra avancés (y’avait des robots et compagnie quoi), cet opus se la joue doucement Victorien et ça passe plutôt bien. Notamment parce que le contraste est très parlant entre les niveaux qui se jouent dans les ruelles et chez les gueux et ceux qui se passent dans la haute société. La direction artistique est vraiment très très chouette à ce niveau-là. Tout respire la crasse, la fumée des usines, la peur de la maladie et la folie des nobles qui se voilent la face sur le fait que ce genre de problèmes n’arrivent qu’à leurs voisins. On pourra accuser un certain manque de couleurs, il est vrai, dans la palette du jeu, mais j’ai du mal à me représenter un jeu Thief, qui se passe de nuit et où il faut ramper en permanence dans les ombres, avec des tons violets ou oranges. Mais ce n’est que mon opinion hein … Pour ce qui est de l’aspect Hub de La Cité … là je ne peux pas dire que j’approuve. C’est clairement pas réussi, les chemins sont tortueux, et l’obligation de passer par un seul point obligatoire pour changer des quartiers rend la chose très frustrante. Ce qui est très dommage parce que le fait de montrer que La Cité évolue en fonction de ce qu’il se passe dans les missions principales était plutôt réussi (les patrouilles se renforcent, on voit des types pendus à des lampadaires, puis la garde se fait massacrer et remplacer par les fanatiques et ainsi de suite). Et le fait de pouvoir se balader et braquer divers appartements et maisons ici et là qui aurait pu être réussi si tout le monde dans l’univers de Thief ne vivait pas dans un trois mètres carrés avec une commode et un lit et rien d’autre, le tout accessible uniquement par une corniche extérieure.
Le travail de voleur, un boulot qui requiert ... du doigté. |
Ce qui m’amène à parler de la liberté d’action. Sujet épineux à vrai dire. On va commencer par le truc chiant : oui Thief de 2014 n’est pas Dishonored. Oui on ne peut pas grimper partout, il n’y a qu’assez peu de verticalité dans les niveaux et c’est plutôt linéaire (même si certaines missions sont plus sandbox que d’autres, je pense notamment au manoir et à la maison des fleurs). Et alors ? Tous les jeux d’infiltration n’ont pas à être Dishonored non ? Je comprends la déception de ne pas pouvoir le faire, mais une fois la chose acceptée, le fait de ressasser que ça n’est pas possible me dépasse un peu. Le jeu “oblige” à jouer dans ses clous, et effectivement c’était fun de jouer outside the box comme disent les anglais dans les rues de Dunwall. Mais c’est pas pour autant que le Thief de 2014 devient une sombre merde non ? Enfin pour certains si, du coup. Vous vous en doutez, ce n’est pas mon cas. J’avoue que j’aurais aimé un peu plus de gadgets hormis la clef à molette et les flèches à cordes, c’est une opportunité ratée effectivement. Je vais sans doute être paraître caricatural, je m’en excuse, mais ça me donne le même sentiment que si on reprochait à un The Witcher 2 de ne pas être aussi ouvert que Skyrim, le but et l’ambition ne sont pas les mêmes, alors pourquoi vouloir chercher la petite bête là-bas ? Et pour parler des bonnes choses, il y a des trucs qui sont tout connement réussis dans ce jeu. J’ai déjà parlé de la direction artistique plus tôt, donc je ne reviendrai pas dessus même si je l’aime beaucoup. Mais un des gros points forts pour moi c’est le travail fait sur les mouvements et animations de Garrett. Le jeu est en full body awarness, autrement dit si vous baissez la caméra, vous verrez vos pieds et votre tronc, de même que les animations amènent les bras et épaules du personnage dans le champ. Et le fait que plein de petits mouvements sont présents dans le jeu rend la chose très cool. Détail tout con : chaque objet volé a sa petite animation où le personnage le choppe et le glisse dans sa poche, accompagné d’un petit bruit de piécettes. Et c’est juste jubilatoire, à un niveau presque pavlovien. Pareil pour les bonds ici et là quand le jeu offre la possibilité de le faire. De même il y a … ce que l’on peut qualifier de petit bond en avant (pas de blague sur Mao s’il vous plaît …) qui est la version soft du Blink de Dishonored, l’abus de distance en moins. C’est un peu le truc qui m’a toujours manqué dans un jeu d’infiltration sans que j’ai jamais réussi à mettre le doigt dessus avant. C’est l’équivalent d’un pas chassé (même si on peut le faire en avant, ce qui est un peu antinomique mais bon …). Et c’est parfait pour rusher d’une couverture à une autre, parfois à un poil de la détection par les gardes près. Un détail qui importe beaucoup aussi, en tout cas pour moi, c’est l’IA. Ho c’est pas THE IA du siècle ou je ne sais quoi, elle a ses petits défauts et angles morts que l’on apprend vite à utiliser, mais c’est propre à tous les jeux d’infiltration ça. Le reprocher serait faire preuve d’une certaine mauvaise foi ou myopie intellectuelle. Ce qui me plaît beaucoup c’est que c’est une des rares IA (voir la seule je crois …) qui remarque quand une porte qui était normalement fermée est ouverte, de même pour les coffres et autres contenants. Et ça c’est un détail cool.
Et un petit concept art pour la route (de Mathieu Latour-Duhaime) |
Et je vais m’arrêter là je crois. J’écris ça en voulant être honnête, pas pour dire que le monde entier est dans le faux et moi dans le vrai. Donc oui Thief de 2014 est un jeu avec ses qualités et ses défauts, et je considère qu’il est important de pointer aussi ses qualités. Qui l’ont trop peu été à mon goût. Peut-être parce que l’on en attendait bien plus vu son héritage et la légende autour de ses deux grands frères ? Peut-être que la comparaison avec Dishonored sorti plus tôt l’a desservi ? Peut-être que la rareté du genre infiltration fait que les gens pardonnent moins (même si ça s’est étoffé un petit peu depuis) ? Allez savoir. Je sais que je l’aime bien en tout cas de Thief, et y’a pas de raison qu’il ait pas le droit à sa part d’amour. Allez-y, donnez-lui une chance ....
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