mardi 30 janvier 2018

Le metaplot, c’est bien ou mal ?

On va commencer par un petit cours, parce que je suis quasi sûr que les trois quarts se questionnent sur ce qu’est ce truc dans le titre. Si vous cherchez sur Wikipédia en français vous tomberez sur la page de synopsis, qui selon moi n’a rien à voir donc on va faire le boulot à la place de Wikipédia. On est comme ça ici. Donc selon Wikipédia anglais, qui fait déjà mieux le boulot (attention, traduction maison) “Le metaplot est l’intrigue générale qui relie entre eux les différents événements dans le cadre d’un univers de jeu de rôle. Les événements majeurs officiels qui changent le monde, ou simplement déplacent des personnages non joueurs importants d’un lieu à l’autre, sont des éléments du metaplot pour un jeu. Par exemple le Monde des Ténèbres de White Wolf a été conclu par une série d’événements majeurs dans le metaplot faisant partie de L’Heure du Jugement. Du fait d’événements comme ceux-ci, de nombreux groupes choisissent d’ignorer entièrement le metaplot d’un jeu.

Décidément, traduire c’est jamais simple …


Je ne sais pas si c’est clair maintenant ? Au cas où, je vais en faire mon explicatif à moi, avec mes mots. Le metaplot correspond à une sorte de ligne narrative “supérieure” dans l’univers d’un jeu de rôle. Là où vous et votre groupe allait faire mumuse et péter la gueule aux gobelins, dragons et sans doute deux trois démons, de l’autre côté du continent un archimage écrit par les développeurs du jeu est sans doute en train de créer la nouvelle armée des ténèbres pour attaquer le pays voisin. Ou alors vos space pirates sont là à se mettre de la poudre dans le nez sans savoir que ladite poudre vient d’aliens qui veulent contrôler les cerveaux de l’humanité. En un sens le metaplot est le background de “tout le monde” vu que chaque personne qui lit son petit bouquin du jeu aura les mêmes clefs à disposition. Et à moins que vous ayez envie de jouer à l’anticonformiste, Khelben est toujours à Eauprofonde, Doc Holliday à Tombstone et Lodin à Chicago. Jusque là tout va bien on va dire. C’est d’ailleurs là dessus qu’en fait, la frontière entre metaplot et background devient flou, et selon moi, fout le bordel. Autre instant traduction du coup, cette fois-ci Wikipédia français est fort : “Une toile de fond est un cadre dans lequel se déroulent des événements. Elle sert à replacer un sujet par rapport à une situation générale. Elle est utilisée dans les domaines littéraires, cinématographiques et ludiques” et oui du coup background veut dire toile de fond dans la langue d’Eminem. Pour moi c’est un peu les deux facettes d’une même pièce (voir d’une trinité mais j’y reviendrais) avec un background posé et un metaplot qui fait évoluer les choses (et les joueurs qui font le lien des deux et donc composent le Saint Esprit de tout ce bordel). Tout ça donnant un monde consistant et vivant.

Destination ça (avec une jacquette dégueulasse qui plus est)
Du coup où est le problème ?

Hé bien en fait le problème il est presque dans la nature même du loisir rôlistique : l'interactivité. Si vous lisez un livre ou regardez un film, l’histoire avance, selon le bon vouloir de l’auteur/scénariste/etc etc (imprévus d’écriture et de tournage mis de coté, ça c’est une autre histoire et il se peut que j’en parle), rien d’anormal à ça. Dans un jeu vidéo on trouve déjà cette interactivité mais elle est dûment contrôlée et limitée par les frontières du code informatique qui fait avancer le tout. Si le jeu ne veut pas que vous deveniez roi, vous pourrez essayer autant de fois que vous voulez de chourrer la couronne, d’égorger tous les héritiers ou de partir fonder votre propre province (si tant est que la programmation vous laisse ne serait-ce qu’envisager la possibilité de tout ça), vous devrez suivre le carcan fixé. Dans un jeu de rôle on se retrouve face à un autre souci, la limite est, virtuellement, l’imagination de chacun. Je dis virtuellement parce que dans les faits il existe des limites bien concrètes, à la fois les règles et leur adéquation (ou non) avec ce qui est envisagé, ou les individus même qui font le jeu, que ce soit les joueurs ou le maître qui refusent quelque chose (essayez de violer quelqu’un dans une de mes parties, vous verrez … Et je reparlerai d’histoire de comportement d’ailleurs) mais on va garder ce postulat de l’absence de limites. Cette absence de limite qui fait que chaque partie, chaque scénario et chaque aventure vécu par un groupe lui est propre et sans aucun doute unique (et ce même dans le cadre des scénarios officiels fournis par les développeurs puisqu’aucun groupe n’est la copie conforme d’un autre et que l’élément hasard créera sans doute de la narration divergente). Et à partir de là on se dirige vers le souci : si chacun mène sa barque de son côté, quand bien même la base est la même à tous, il y a forcément un moment où ça va diverger du voisin. C’est pas forcément mon délire donc je sais que je n’ai pas ce problème, mais si par exemple votre maitre du jeu se pique de l’envie de vous faire vous fritter avec un des “grands noms” de l’univers rien ne l’en empêche, c’est son droit. Et si ça se fait, peut être même que vous aller, au bout d’efforts et de persévérance, réussir à tuer l’Archimage d’Eauprofonde. Et qu’après ça la suite de la campagne va jouer sur le chaos ambiant causé par cette victoire. L’ennui c’est le “long terme”. Supposons que vous vouliez continuer à jouer pendant longtemps (personnellement on est plus à envisager un grand arc narratif avec un groupe et un jeu et une fois celui-ci conclut on passe à un nouveau truc donc le souci ne se pose pas franchement) et que vous attendez avec impatience d’autres publications qui vous apporterons d’autres choses sur l’univers où vous évoluez. Et là … mauvaise surprise ! Les gens qui écrivent l’histoire ont décidé qu’ils allaient dans une autre direction que vous, l’archimage est bien portant et a même décidé d’étendre les frontières de son royaume. Et vous voilà dans une ligne temporelle alternative où vous devez vous débrouiller seul, et mine de rien … c’est très dur. Voilà un cas où vous vous prenez le metaplot dans la tronche, contraint de “rentrer dans le rang” ou de devoir continuer seul, frustré de ne pas pouvoir profiter des nouveaux apports si vous voulez continuer avec le monde en évolution. Vous comprenez mieux ce qu’est un metaplot ?

Donc interdiction de tuer ce monsieur, compris ?

Vices et vertus

Une fois passé cette présentation, je pense qu’il faut, comme tout article didactique qui a vocation à vous expliquer la vie, énoncer les pour et les contre et tant qu’à faire illustrer un peu le tout. Pourquoi le metaplot et pourquoi on en veut pas ?

On va commencer par le jeter à la poubelle, ensuite on l’exhumera pour le laver un peu. Le principal souci d’un metaplot, comme je viens de le dire plus haut, c’est que c’est une prison à sa façon. Les développeurs du jeu donnent leur la et vous devez suivre. C’est un peu comme le grand de la cour de récré avec qui vous jouez mais qui ne vous laisse pas faire tout dans vos imitations de Batman, parce que Superman il est plus fort et c’est comme ça. Ne mentez pas, vous savez de quoi je parle quand j’évoque ce mec. Et sans partir en vrille comme un fan de Star Wars ou de Matrix qui estiment Savoir mieux que le créateur, y’a des chances qu’à un moment leur vision diverge de la votre sur comment faire avancer tout ça. Des fois à raison parce qu’il y a des trucs franchement stupides qui ont été commis (La Magepeste par exemple, pour ceux qui savent, était un truc ultra con. Ou les résultats des tournois sur Legends of the Five Rings, je vous en parlerai sans doute un jour) des fois c’est clairement une divergence d’avis ou des problèmes légaux (la ville de Gomorrah dans Deadlands, super terreau à aventure qui a dû être retcon pour des questions de propriétés intellectuelles). Un autre problème c’est qu’un monde qui bouge c’est bien beau, mais souvent ça bouge en dehors de la vue des joueurs. Si par exemple deux pays entrent en guerre, il y a certes moyen d’y puiser des graines d’aventures (batailles, sauvetages, pillages, protection de réfugiés et qu’en sais-je) mais c’est quelque chose qui n’impliquent que peu d’intervention des personnages. Le monde tourne, sans eux. Ça a été mon gros souci quand j’ai lu Deadlands : Hell On Earth : il y a un paquet de trucs qui se passent en coulisse, qui peuvent changer l’univers. Sauf que les trois quarts sont entre des individus PNJ (Personnages Non Joueurs, rappel au cas où) et ils n’ont pas besoin des joueurs pour faire leurs tambouilles. Et du coup les joueurs eux ils ont une belle jambe dans tout ça.

Et vous savez quoi ? Il existe encore pire. Ouais, ouais. C’est une pratique assez répandue que des scénarios officiels proposent aux joueurs d’être partie prenante des changements. Et la seule comparaison qui me vient c’est mon époque étudiante. Ça me saoulait qu’on m’invite pas aux soirées, et si je m’y retrouvais c’est pas pour autant que je trouvais ça cool. Parce que oui, il y a des scénarios officiels qui sont vraiment nazes. Mon exemple favori reste la trilogie Forteress o’ Fear où l’antagoniste principal est invincible. Et ce n’est pas même pas une histoire de statistiques ou autre. Il n’a pas de compétence ou autre, le bouquin dit texto qu’il est impossible à tuer, qu’on ne peut pas gagner face à lui et qu’au mieux il sera repoussé, parce que “Stone est important pour l’histoire et c’est le plus fort” (si jamais vous avez l’occasion, essayez de lire les archives du forum de Pinnacle. Quand ça parle du bonhomme l’acharnement des membres à dire que c’est obligatoire de ne pas pouvoir gagner est sidérant). Et si vous voulez y’a encore pire dans ce même truc. Un autre personnage invulnérable qui est là littéralement pour faire avancer le scénario à elle toute seule. Vraiment. Sa description comprend quand même la ligne “We don’t want her to get killed off. She’s a plot device and she’s important to moving the storyline along.” En gros elle est là pour faire des trucs cools à la place des joueurs et les recadrer sur le chemin si jamais ils en ont marre (à nouveau je déforme à peine le propos du bouquin). Très franchement ça donne pas envie de se fader leurs histoires à eux. Si jamais vous êtes familier avec le concept, c'est un peu ce qu'on appelle la ficelle du GMPC (Game Master Player Character, soit le personnage du MJ), autrement dit une insertion d'un personnage dont le but est littéralement de permettre au MJ d'être un décideur à coté des joueurs. Et s'il ne faut jamais être totalement catégorique, ce genre de trucs ça craint sérieusement.

 Jackie Wells qui tient le méchant en otage. Et pendant ce temps les joueurs tournent la manivelle
Avec tout ça en tête vous allez sans doute me dire qu’il faut flanquer le metaplot aux chiottes, tirer la chasse, sceller la fosse septique au ciment et cramer la baraque. Hé bah … Non. Je ne dis pas ça parce que c’est un sort fort cruel, ça on s’en fout. Non parce que ça aide bien mine de rien, et que la vie ça ne s’invente pas. Enfin si mais péniblement. Si vous aimez l’heroïc fantasy, vous avez très certainement essayé à un moment d’écrire votre univers à vous, à se fantasmer comme le prochain Tolkien/Gemmell/Goodkin/Jordan/Feist/Howard/cequevousvoulez. Et au bout de trois chapitres vous avez sans doute dû réaliser que faire un monde complet et rempli c’est super chaud. Encore plus si tout doit tenir debout. Alors maintenant représentez vous ce que ça doit donner pour un monde où les joueurs évoluent, transitent d’un lieu à l’autre, sachant que chaque endroit doit pouvoir accueillir potentiellement des graines d’aventures. Essayez pour voir. Moi c’est même pas la peine. Alors oui j’imagine que ça peut sonner comme un aveu de paresse, et peut être que c’est le cas. Mais je pense sincèrement qu’on peut très bien mettre à profit le fait qu’un autre(s) nous propose d’autres pistes que les siennes. Personnellement je sais que mes trucs virent souvent à l’enquête, et encore heureux que des fois je peux piocher dans tel ou tel truc écrit par un autre que moi, sinon mes joueurs retourneraient souvent des cailloux en ville pour trouver qui à fait quoi (non pas qu’ils s’en soient plaint jusqu'à maintenant). Un autre aspect intéressant du metaplot c’est justement l’évolution, que j’ai évoqué négativement plus tôt il est vrai. Sauf que comme je l’ai dit un peu avant, la vie ça s’invente péniblement. Si vous évoluez dans votre univers maison, de région en région en gros forcément à un moment il va y avoir un effet train fantôme. Dans le sens où chaque fois qu’on arrive quelque part, quelque chose se produit, le monde évolue parce que les joueurs sont là, comme un script dans un jeu vidéo. En général tout le monde sera tolérant de ça, on sait bien que c’est un artifice narratif. Et à la longue ça va vite devenir lassant, autant pour vous qui essayez d’écrire le prochain truc qui se passe dans le coin, que pour les joueurs qui attendent le nouveau pop-up. C’est pas une mauvaise chose mine de rien d’avoir quelqu’un qui file un coup de main sur plein de trucs simultanément.

Et y’a un dernier point, qui peut encore faire aveu de nullité pour moi vous jugerez seul. J’ai besoin d’une ligne directrice pour écrire mes histoires. Elle peut être maigre éventuellement, mais il m’en faut une. Et pour avoir une ligne il faut des réponses. Je vais vous parler d’un exemple personnel : Hellfrost, édité par Triple Ace Games. Dans un moyen-âge à fortes inspiration scandinaves (avec des hobbits gitans d'ailleurs), le monde se recouvre petit à petit de glace, tandis que la magie semble déconner et diverses choses se passent en coulisses. Et c’est tout. Parce que Wiggy, lead-writter (comme disent les anglais) a décidé que cet univers devait être celui des joueurs et non le sien. Donc TOUTES les questions posées par l’univers, les différentes pistes et autres mystères n’auront JAMAIS de réponse. JAMAIS. Tout ce que le maître possède c’est un instantané de l’univers où il peut faire ce qu’il veut. Et moi ça me coupe complètement les pattes. J’ai beau lire les différents bouquins, tous ces mystères, ces éléments qui vont plus loin que juste “c’est untel ou untel qui intrigue dans l’ombre” je me sens démuni. Face à trop de choix je n’ai aucune réponse. Alors en fait oui, je salue le désir de ne ruiner l’histoire de personne, sauf que du coup moi qui ne suis pas assez “bon” je n’ai pas d’histoire du tout. Et j’aimerais volontiers qu’ils me proposent la leur. Et si vous voulez un autre bon argument : Shadowrun. Qui est un jeu que j’adore, et faudra sérieusement qu’on en reparle dans ce blog, on a des choses à en dire. Très brièvement c’est un monde cyberpunk avec de la magie et les races de la fantasy où les joueurs jouent le rôle de black ops employé par des megacorps pour faire le sale boulot. De base ça a pas l’air mortel ça ? Shadowrun dispose d’un metaplot, à base de dragons entrepreneurs et d’esprits maléfiques venus tout bouffer, mais à l’inverse de Deadlands ou du Monde des Ténèbres où le metaplot fait les intrigues puisque les éléments de ce dernier créent les pièces de narration nécessaire. On peut à l’inverse très bien jouer à Shadowrun en “faisant son boulot” c’est à dire des contrats divers et variés, et “c’est tout”. Et si vous avez envie de coller par moment un esprit vorace et un dragon entubeur ça se fait sans mal. Mais en tant que telle la toile de fond et ses mouvements métaplotiques sont à distance raisonnable du reste. Et j’aimerais bien y rejouer à ce bon vieux Shadowrun.

Le Nudiste du Metaplot et le Duty Free (par contre dites à votre MJ de ne pas inclure le mec à droite, ça vous rendra service)
A vous de trancher sur ce que vous préférez, moi je pense que je préfère en avoir malgré tout. Oui, réponse simple et basique à une vaste question. Démerdez vous avec ça.
 
A noter qu’après que j’ai écrit cet article et qu’il reposait au frais pour relecture, Ategix m’a soufflé dans l’oreillette que répondre à cette question relève de la gymnastique mentale. Vu que le fait même de détailler soi même à la main en tant qu’auteur sur son monde à soi revient à faire son propre metaplot et créer le même problème de, je cite “une prison de metaplotium”. Il est fort ce Até de réfléchir à ma place.

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