On aurait pas forcément tendance à le croire mais le hip-hop américain contient une certaine spiritualité selon les artistes. Oui vraiment. On pourrait croire qu’en tant que musique revendiquée “du ghetto” ça ne parle que de grosses voitures, de demoiselles peu farouches, de picole et de divers types de drogues. Et techniquement oui, plus d’un aborde le sujet, évidemment, les clichés ne naissent pas seuls. Mais au sein de ça on trouve un paquet de gens avec du plomb dans la tête et de mouvements spirituels et mystiques. Le plus évident étant la 5% Nation. On peut aussi évoquer Black Star mené par Mos Def et Talib Kweli qui ont tous les deux fait leur bout de chemin et qui ont ouvert une librairie à Harlem à la sortie de leur premier album. Dans un autre style il faut parler de toute la branche Native Tongues avec De La Soul ou A Tribe Called Quest qui a été, je pense, quelque chose d’assez important en terme de black-conscience dans les années 90 avec Public Enemy. Mais je digresse dans mon propos. Toute cette spiritualité ça s’est retrouvé à la fois dans le texte et dans la façon de balancer ses textes. J’avais déjà mentionné Ka dans un précédent article en utilisant le terme de prêcheur et c’est le terme qui m’est resté en fait. Les morceaux dont je vais parler plus bas ont tous ce côté exalté et/ou convaincu alors que leur interprêtre rappe son propos. Ambiance spirituelle garantie, et bonne musique of course.
Royce Da 5’9 est un mec de Detroit, pas franchement mon rappeur préféré je dois bien l’admettre tant son style se limite à vouloir sortir des couplets percutants et essayer (je dis bien essayer) de sortir des phrases chocs qui tombent à plat (comme le disait Escobar Macson : “une punchline ratée ça s’appelle une flunchline”), pour être tout à fait franc je crois que mon truc préféré de sa carrière c’est les aléas de ses embrouilles avec Eminem (et croyez pas que ce soit propre à ce mec, 90% des rappeurs de Detroit se sont embrouillés avec Marshall le faux blond maigrichon). Néanmoins je dois bien reconnaitre un truc chez lui : le gars sait s'entourer, que ce soit Mr. Porter, Boi 1da ou DJ Premier. Ce dernier est d’ailleurs aux manettes en terme de production sur tout le projet PRhyme qu’ils ont réalisés ensemble, et si c’est pas parfait il y a ce morceau dans le lot. Et dedans y’a rien de moins que Jay Electronica, qu’on a pensé être le futur dieu du game semblable à Nas avant qu’il disparaisse en faisant un gros prout parce que ça fait huit ans qu’on attend son fameux album. Mais bon, au moins il nous fait le plaisir avec un gros couplet qu’il envoie comme s’il était touché par la Grâce sur le moment, à la fois en terme de vitesse de débit (je vous mets au défi d’envoyer autant de mots comme ça en arrivant à articuler) que sa série d’allitérations en I pour boucler ses couplets. Sans parler de phrase comme “I came from the bottoms of Hell with Jezebels. Sniffin' blow with her friends in the dens of iniquity. When I was young, I was confused, I thought God was a mystery.”. C’est peut-être moi mais je trouve qu’il se passe un truc à ce moment-là. Jay si un jour tu le sors ton album je l’écouterai ...
Bon, j’admets d’emblée, j’ai un peu triché pour ce morceau-là : c’est un fanmade donc techniquement je vous parle d’un morceau qui n’existe pas. Sans rancunes j’espère. Là je suis obligé de parler des deux présents en détails parce qu’il y a une sacrée histoire derrière les deux. MF DOOM déjà, un sacré personnage, venu à la base du groupe KMD qui connut son succès à l’époque avant de sombrer dans une dépression et dégradation personnelle complète à la mort de son frère. Les histoires sont variées et floues quant à la vérité mais la plupart s’accordent à dire que le gars a vécu SDF, dormait dans des rames de métro et mendiait à New York comme une épave totale. Puis il disparaît complètement des radars et revient quelques années plus tard, affublé d’un masque métallique et ne se montrant jamais à visage découvert sous le pseudo de MF DOOM, super-vilain déclaré en guerre contre l’industrie du disque qui l’a broyé. Pour ensuite sortir une déferlante de projets à la fois très bons, parfois complètement dégueulasses, troller son monde en envoyant ses doombots faire des concerts à sa place pour se foutre de la gueule des gens et j’en oublie. Le tout en rappant sur des références aux comics books, au mysticisme musulman, sur le délire des 5% Nation et j’en oublie, faut souvent un décrypteur pour comprendre tous ses textes. Et de l’autre côté on a GZA, littéralement si vous voulez découvrir le rap new yorkais de l’époque, écoutez son album Liquid Swords ainsi que le début de la discographie du Wu Tang Clan. Tout y est, les beats de son cousin RZA, les featuring de folies et surtout surtout son style de lyrics et ses métaphores à base de formules chimiques pour parler de la rue et de ses conflits intérieurs. Rien que le nom quoi, Liquid Swords … Et du coup si vous mettez les deux sur un bon beat (venant d’un type nommé Omega Red, j’ignore ce qu’il a fait d’autre mais que celui-là vaut le coup) vous obtenez un morceau qui se savoure comme un bon bouquin. Je ne saurais que trop vous conseiller de vous pencher sur les deux sieurs, y’a de quoi faire.
Je crois qu’en fait, tout simplement, c’est un de mes morceaux de rap favoris au monde. Issu de la “deuxième” partie de la carrière de Jedi Mind Tricks, celle que les gens n’aiment pas parce que leur producteur Stoupe The Enemy of Mankind (oui rien que ça) avait décidé de quitter le groupe pour un temps et que Jus Allah, l’autre MC était de retour. Ouais y’a des gens qui n’aiment pas que les choses changent et je les comprends. Entre les albums (assez génériques il est vrai) d’Army of The Pharaohs et Violence Begets Violence (lequel comporte quand même un morceau avec un sample de Death Note, s'il vous plait) qui manque de vrais morceaux marquants c’est pas la période la plus réussie du groupe. Néanmoins il y a ce morceau là et du coup tout est pardonné. Déjà pour l’instru signée par Mr. Green, un beatmaker du New Jersey avec son sample de chanson traditionnelle russe, j’ai d’ailleurs pensé à le programmer à l’époque de mon article sur les samples de voix mais ça aurait fait doublon avec Uncommon Valor. Ensuite pour les deux couplets de Vinnie Paz et Jus Allah (les invités eux sont juste passables donc on va pas s’y attarder) qui sont puissants dans leur genre. Entre Vinnie qui balance un mélange de prêches religieux et de déclarations plus glauques les unes que les autres (“Carry a motherfucker head that I shred in 'Nam. I speak literally, figuratively, the prophet gone”) et de l’autre côté Jus qui se complet dans un gore absolument superbe (“Don't even ask, there's somebody in the body bags. The blood matches what's on the hatchets and hockey mask”) le niveau lyrics est plutôt fourni. Et cerise sur le gâteau c’est le clip, tout en noir et blanc avec ses images assez incongrues, entre le prêcheur de rue de l’intro qui arrange la foule, ce qui ressemble à un SDF bardé de lampes clignotantes, tandis que deux taggeurs avec des masques improbables graff les paroles à l’écran, le tout filmé dans une Philadelphie nocturne qui semble hantée tant tout y paraît irréel. Quand je regarde ça il se passe quelque chose je trouve, comme si on me disait une vérité que je ne suis pas prêt à comprendre.
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