lundi 10 juin 2019

Reflexions sur la conception d'un système de règles #2 : Le combat

Hé ouais, le retour. La dernière fois j’ai parlé du B.A.ba de la chose, maintenant on va entrer dans quelque chose d’un peu plus pointu et dans le lard aussi. Littéralement puisque je compte cette fois-ci parler de violence, de guerre, de morts, d’opposition et autres joyeusetés. Ouais, cette fois c’est l’heure du combat ! Selon toute logique ça peut paraître simple : plusieurs parties en présence, on se met sur la gueule, les uns meurent, les autres l’emportent. Hélas, la vie n’est jamais aussi facile qu’elle n’y paraît, et y’a moult subtilités que je m’en vais vous décrire.

D’abords, ça peut sembler idiot à dire mais définissez dans votre système ce qui représente ou non une situation de combat. Je sens quelques interloqués dans le fond, qui doivent se dire qu’un combat c’est des poings, des pieds, des couteaux, des épées, des flingues, des armes antichars et de la haine. Hé bien … oui et non. Y’a effectivement tout ça, mais pas que, ou justement parfois plus. Qu’est-ce que vous faites, ou non, des conflits sociaux ? Des batailles rangées ? Des démonstrations de force plus que de la confrontation à proprement parler ? Je n’arrive plus à me souvenir où j’avais vu ça mais j’ai en mémoire un jeu (?) où l’on affrontait quelqu’un à coups de rhétorique en lui faisant perdre des points de … validité auprès du public ou un machin du genre. Je pense que Cinq Anneaux peut se jouer comme ça aussi à sa façon, un jour on se penchera vraiment sur Cinq Anneaux. De la même façon, demandez vous si vous avez pas mieux à faire que lancer un processus de combat s’il s’agit juste de mettre une claque à un loubard histoire qu’il arrête de chanter The Boys are Back in Town de Thin Lizzy (ce morceau me goooonfle d’une force d’ailleurs). Pensez à d’éventuelles façons de résoudre les confrontations. Savage Worlds notamment a quelques sous-systèmes pour ça, assez fluides d’ailleurs, parce que Savage Worlds c’est bien.
Penny Arcade, classique selon mon cœur
En tout cas, quelle que soit la forme qu’aient vos conflits, il faut se mettre d’accord sur qui frappe qui dans quel ordre. Neuf fois sur dix on appelle ça l’initiative, terme ancestral hérité de Donjons & Dragons et qui n’est jamais vraiment parti depuis, faut croire qu’on l’aimait bien. Et là on entre dans la partie technique, parce que si en apparence un ordre de jeu c’est simple, ça peut être découpé en beaucoup de composants. On a la version simple et basique que pratique Donjons & Dragons : tout le monde jette un dé, les résultats les plus hauts l’emportent et on joue dans l’ordre décroissant. Point barre, merci, voilà. Ça a l’immense avantage d’être clair et net, on sait qui joue quand, chacun voit ce qui va lui arriver sur la poire précisément à quel moment. L’ennui c’est justement cette linéarité et ce côté immuable qui peut rendre la chose monotone et possiblement frustrante. Je me souviens avoir ressenti ça sur Pathfinder où, à trois combats d’affilés, la faute à des mauvais jets j’étais toujours le dernier à agir et j’avais le sentiment de servir à rien au final. Le Monde des Ténèbres avait rendu ça à la fois plus intéressant et plus frustrant vu qu’au début de chaque tour les actions sont annoncées dans l’ordre croissant d'initiative, autrement dit le dernier à jouer dit ce qu’il fait en premier, de façon à ce que les plus rapides s’adaptent. Ce qui est techniquement très intéressant et ultra frustrant pour le dernier du lot qui a le temps de voir ses bonnes intentions réduites en miettes. C’est notamment pour éviter ce genre de situations que d’autres jets ont choisi un système avec une initiative plus flexible. En tête de ma liste mentale vient, of course, Deadlands et ses cartes. Até en parlait ici donc vous n’avez qu’à le relire pour comprendre. L’ennui c’est que vu que les cartes sont redistribuées (littéralement) à chaque tour ce qui amène un inévitable moment de réadaptation avant de reprendre l’action. Et même si l'initiative est plus flexible, vous serez toujours soumis à d’éventuelles poisses constantes, j’en veux pour exemple l’ami Naeko qui a eu le deck contre lui la dernière fois qu’on a joué à Hellfrost. Numenera avait fait un truc assez intéressant : on y retrouvait le calcul habituel de l’initiative mais par … tranches. En gros les joueurs devaient battre un score d’initiative des ennemis pour agir avant, quiconque ayant atteint ce score se retrouvait dans la tranche supérieure, en cas d'échec dans celle inférieure, et selon les différents groupes d’ennemis pris entre deux groupes aux initiatives différentes. Jusque-là ça peut sembler assez ordinaire, la petite subtilité, que j’ai bien aimé je dois dire, c’est qu’au sein d’une tranche d’initiative chacun joue dans l’ordre qu’il veut, ce n’est pas parce que Dwarf aurait fait un 16, Até un 12 et Le Lobbyisé un 22 qu’ils auraient joué dans l’ordre croissant. L’action peut être simultanée ou chacun choisit de prendre son action avant ou après ce qui est plus égalitaire et tactiquement riche en potentiel. Un jour on se penchera réellement, pour vous, sur le cas Numenera … quand on aura des petits enfants je pense.

Une fois qu’on en est arrivé à savoir qui frappe qui, la question est de savoir comment. Selon toute logique, il y aura un jet de dés, c’est à peu près certain. Mais de qui et avec quel but ? La réponse la plus évidente est bien entendu le classique jet d’attaque opposé à la parade/esquive/résistance ou qu’en sais-je de l’adversaire. C’est ce que fait Donjons & Dragons ou Savage Worlds par exemple. Warhammer lui allège la chose vu que le fait de toucher ne dépend que la réussite du jet du joueur et point barre. Les subtilités arrivent après dans le traitement de l’attaque mais ça j’y reviendrais. Mais qui dit qu’il est interdit d’inverser la chose hein ? Après tout rien ne vous empêche de dire que l’attaquant a un score fixe d’attaque et qu’à chaque tentative de frappe c’est au défenseur de faire un jet de parade/esquive/résistance ou qu’en sais-je. Je ne suis pas certain que tout le monde aimerait, ça peut manquer du sentiment de puissance que confère un gros résultat aux dés, mais pour les joueurs très poissards …

"Six de parade contre ton 8 d'attaque et trois modificateurs de touche. Ça fait combien ?"

Et le meilleur et le plus saignant pour la fin : les blessures. Nom de dieu ce qu’il peut y avoir à dire sur le sujet, quand j’ai préparé cet article j’avais une page entière de notes gribouillées sur le sujet. Comme je suis un type sympa vous allez avoir droit à une version bien plus propre et ordonnée de tout ça. Une fois que vous avez touché un ennemi, il faut savoir comment ça se passe pour le blesser. Et là c’est quasiment une boîte de Pandore qui s’ouvre. En effet les méthodes et possibilités sont nombreuses et chacune comporte son lot de bons et de mauvais points. On va commencer par le plus simple : les points de vie. Vieux comme Mathusalem, qui peut dire qu’il n’a pas joué à un jeu où il y a ça ou son équivalent en forme de barre ? C’est très simple, mais efficace. Il y a juste le côté parfois absurde que peut impliquer un personnage avec beaucoup de points qui se met plus à ressembler à une éponge à coups, j’ai en tête un stream de Donjons & Dragons où le barbare de niveau 14 sort “bon ça va, j’ai pris 130 points de dégâts là, m’en reste un peu plus de la moitié. Je gère” et qui ruine un peu la possibilité que ça claque un grand coup en combat. Et en général le défaut de ce genre de façon de concevoir les blessures amène une “pauvreté” en terme de possibilité de frappes et autres détails tactiques. J’y reviendrai également. Il ne tient donc qu’à vous de partir dans la direction opposée non ? Deadlands, le fort et beau Deadlands divise le corps de chaque personnage en six parties qui peuvent toutes êtres abimées voir oblitérées, seul la tête et le tronc étant létale. Et si vous voulez un truc encore plus pointu je vous laisse admirer la table de localisation de Aces & Eights qui est sans doute l’overkill dans le domaine (FATAL exclu, on ne parlera pas de ça ici). Au moins là vous aurez la possibilité de personnaliser vos attaques et tactiques, y’a pas à dire. Mais le problème est également là, si chaque attaque doit être ciblée, la difficulté de celle-ci adaptée aux circonstances à chaque fois qu’un coup part et les conséquences de chaque blessure prise en compte on n’est pas sorti de l’auberge. Aces & Eights par exemple a un système sur la septicémie qui peut découler d’une blessure par balle traitée par la “médecine de pointe” du XIXème siècle. Et je vais reparler de Numenera (l’impression que je le fais beaucoup dans cette série d’article …) où chaque personnage possède trois jauges (physique, mentale et spirituelle) qui affectent différemment un personnage et peuvent être affectées et vidées par divers types d’attaques. C’est flou dans ma mémoire, je peaufine Pathfinder en ce moment et j’ai du mal à trouver de l’espace de cerveau pour tout me rappeler. Je suis quasi certains qu’il y a encore d’autres moyens d’exprimer les dégâts sur un personnage mais là je n’ai rien d’autre comme exemple dans ma bibliothèque, à vous de me dire si y’a autre chose.

Me lasse jamais de ce meme

Et c’est pas tout ! Il ne suffit pas de savoir comment on inflige la douleur, il s’agit aussi de voir l’impact, ou non, de celle-ci. J’ai mentionné Deadlands et Numenera juste avant, deux jeux où infliger des dégâts au personnage implique de diminuer ses ressources. Dans le cas de Numenera c’est la réduction de la possibilité d’utiliser des points et donc d’avoir plus de chances de réussite, dans Deadlands ce sont tout bêtement des malus qui se cumulent sur la difficulté de vos jets. Matthew Colville, un charmant monsieur sur Youtube avait évoqué dans cette vidéo (que j’ai mis deux heures à retrouver) que la mécanique des dégâts dans un JDR est une question vicieuse. Si vous prenez la route Donjons & Dragons on arrive au résultat involontairement comique du barbare à 300 points de vie que j’ai mentionné plus tôt. Si vous prenez la route Deadlands vous amenez un “cercle vicieux de punition” (je crois que c’était son terme) où tout devient plus dur et le fait d’être blessé vous rend encore plus susceptible de l’être et donc de se reprendre à nouveau un coup et ainsi de suite. Savage Worlds (je m’en veux presque de le citer tout le temps, je l’aime ce truc mais j’ai pas envie que ça se voit trop) avait tenté de couper la poire en deux en proposant une mécanique d’encaissement contre la dépense de points en accès limités, histoire de servir de “vie” comme dans un vieux jeu vidéo en somme. C’est un peu le but dans les jeux qui offrent un système de points de destin d’ailleurs.

Et y’a un dernier pour la route, parce que je sais que vous en rêviez ! Cette partie-là est un peu à part dans le sens où elle relève à la fois du principe de blessure que je viens de détailler et des attaques un peu plus haut. Je veux parler des attaques spéciales et des “statuts”. De quoi je parle exactement ? Rassurez-vous ce n’est pas une explicatif sur la différence entre un employé dans le privé et la fonction publique. Plutôt de manœuvres et autres façons de créer du tort à son prochain en faisant autre chose que lui ouvrir le ventre, je pense que ça vous parle plus non ? En effet si l’attaque est le truc à peu près universel, divers jeux ont inclus d’autres possibilités pour cogner son semblable. Le nom varie selon le système, que ce soit des manœuvres, des attaques spéciales, des compétences ou des pouvoirs, au final l’idée est la même : offrir d’autres possibilités stratégiques. Les exemples qui me viennent comme ça c’est le désarmement dans Pathfinder, les coups étourdissants de Donjons & Dragons 3 (dans Neverwinter Nights y’avait un con de PNJ qui en abusait, ça me rendait fou), les croches pieds dans Deadlands, la parade totale dans Warhammer et j’en passe. Toutes ces actions apportent de la richesse et de la diversité à des affrontements qui peuvent facilement devenir monotones. En découlent du coup le besoin de mettre en place de nouveaux statuts avec leurs règles correspondantes. Je reprends mon exemple de l’étourdissement : si, en tant que concepteur, vous incluez cette possibilité vous devez prévoir ses règles qui vont avec et quel impact cela aura sur l’adversaire. Représentez-vous ça comme … un jardin. Disons que le combat est un immense champ de tomates. Que vous allez manger tout au long de l’année. Inclure du désarmement, des coups étourdissants et des parades totales c’est comme faire pousser à côté de ces tomates des carottes, choux et j’en passe. Vous allez devoir un minimum optimiser votre espace si vous voulez pas que tout pousse n’importe comment et que chaque plant n’étouffe pas son voisin. Autrement dit en terme de jeu : ne pas avoir un gros gloubiboulga où chaque règle se chevauche de façon disgracieuse avec sa voisine le tout formant un ensemble absolument pas fluide ou fun à jouer.

Et ainsi s’achève mes réflexions personnelles sur les combats. Il est possible qu’un troisième et dernier opus paraisse, ce dernier portant plus sur ce qui est à mi-chemin entre l'interprétation et les règles. Je verrais si je suis motivé et inspiré. Suspens !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

L'état des lieux

Je vais annoncer quelque chose de choquant : à la grande déception de beaucoup ... je ne suis pas mort. Trois ans que ce machin prend la pou...