lundi 18 février 2019

Reflexions sur la conception d'un système de règles #1

Je vais vous révéler un secret : Le Lobbyisé bosse sur son propre JDR, moi aussi d’ailleurs. Je dis moi aussi parce qu’à la fois j’ai mon propre projet (qui ne verra jamais le jour je préviens) et que je lui file un coup de main à l’occasion. On cause essentiellement de world building et des diverses cultures à inclure, très très peu de système de règles. Et je me suis rendu compte que mine de rien c’était plutôt important. Comment vous voulez jouer à un jeu si jamais vous n’avez pas le squelette pour le faire avancer hein ? Et en conséquent je me suis dit qu’il serait intéressant de disséquer un peu comment on fait un système de jeu et ce que peut impliquer tel ou tel choix en terme de game design, les conséquences que tel ou tel aspect peuvent avoir sur le jeu et la façon de jouer, avec avantages et inconvénients. Je préviens d’avance, je vais essayer d’être factuel, mon but ici est de présenter quelque chose, pas de vous faire un réquisitoire ou de donner ma vision parfaite de la chose. En d’autres termes : vous avez le droit de penser que c’est tiède et très entre deux eaux, c’est un peu le but.

Maintenant que c’est dit, attaquons le gras du sujet, je me suis dit que commencer par les bases serait plus évident. Par facilité et familiarité j’utiliserais l’anglicisme core rules parce que c’est un résumé efficace et court plutôt que de répéter règles de base à longueur de phrases, surtout que la traduction n’est pas tout à fait exacte. Pour en avoir parlé avec divers amis et relu différents manuels de plusieurs jeux que j’ai en stock j’ai essayé d’avoir un éventail d’exemples et de cas possibles de façon à brasser large. J’ai découpé la chose en plusieurs morceaux à chaque fois.

Sous vos yeux ébahis : un système en construction !

Le médium de jeu : Bon à la base j’ai voulu appeler ça “les dés” mais ça pourrait presque être réducteur. Juste néanmoins parce que très très très souvent vous allez pratiqué le JDR avec nos amis à facettes mais il ne faudrait pas exclure d’autres possibilités. Je pense que c’est le premier pas à décider quand vous concevez un système : avec quel médium il va fonctionner. Mine de rien le choix du type de dé va beaucoup influencer votre architecture. Prenez Numenera par exemple, par souci de fluidité Monte Cook le lead-designer a voulu que tout se résolve sur un unique dé à vingt face, tout est focalisé là-dessus et nul ne dévie. Simple, net, élégant et sommaire. Et pour certains justement ça peut être chiant de n’avoir qu’un seul dé. J’ai connu quelqu’un qui n’aimait pas Pathfinder justement du fait que les probabilités mathématiques du D20 lui déplaisait. De plus il est important d’envisager comment se matérialise la progression du personnage, et sur un système à dé unique, la chose va souvent prendre la forme de modificateur et autres ajouts/retraits au résultat final, ce à des paliers parfois ridicules (on disait de Donjons & Dragons 3.5 que passé le niveau 15 le dé ne comptait plus, pour vous donner une idée). Voyez ça comme un exercice de comptabilité où vous ajoutez et déduisez de vos impôts pour ensuite seulement savoir quelle est votre taxe sur le revenu. D’où la possibilité du choix du chemin inverse : celui de ce que j’ai baptisé … la brouette de dés. Oui c’est un peu grossier comme nom, mais l’idée est d’avoir non pas un seul dé mais plusieurs qui s’accumulent avec la montée en puissance du personnage. Le Monde des Ténèbres marche sur ce principe, où chaque jet combine une compétence et un attribut qui lui est apparenté pour lancer le total en dé, Dextérité combiné à bagarre, Intelligence et hacking etc … Ici matérialiser la progression est simple : plein de dés = plein de progression. Notez que je n’ai pas appelé ça brouette de dés pour rien : le souci avec ce système est qu’il est facile de partir dans l’outrance. Un exemple de ça c’est Shadowrun auquel on a joué avec Até et dont on a déjà parlé plusieurs fois. Mon perso, Ink, était encore relativement débutant (j’avais dû dépenser peut-être une dizaine de points d’expérience au maximum) et quand je me suis mis à tirer dans tous les sens à notre quatrième session je lançais douze dé pour voir si je touchais avec mes pistolets. J’ose même pas imaginer si on avait continué plusieurs années … Je me souviens avoir lu un compte rendu haut niveau de Shadowrun où les types lançaient des cornets de 18 dés pour une attaque normale (et combattaient un dragon avec une jeep à mitrailleuse dans un stade de foot mais ça c’est une autre histoire) sans même y inclure de la magie. Vous imaginez un peu la débâcle ? Accessoirement si vous aimez les mathématiques j’avais lu sur un bon site anglais (que je ne retrouve pas) qu’en gros plus il y avait de dés plus les chances statistiques d'échecs étaient hautes ou une histoire comme ça. Je comparerais un peu ça à du spam quand vous cherchez la bonne réponse au sein de tous vos mails en fait … Et il faut aussi éventuellement évoquer les systèmes à type de dés multiples, en tête Deadlands et son enfant Savage Worlds forcément (vous nous connaissez à force hein ...) où vous avez à la fois la question de la “puissance mathématique” (quel dé représente quelle échelle de puissance et donc de progression ?) du dé et la quantité ou non. Certains préfèrent le D100, où l’on tire un pourcentage qui confirme ou infirme la réussite des actions, personnellement j’ai toujours été déboussolé par ce système par le fait qu’il faille faire un résultat bas pour que ça marche, mais c’est juste mon esprit pour le coup et je le sais. Et j’ai parlé de médium plus vaste que les dés en intro donc j’y viens : tout n’a pas à passer par là. Je me souviens avoir vu passer un mail Ulule (m’y étais inscrit pour finance Mage l’Ascension … dont le financement était déjà fini …) où un JDR à influence mythologique grecque incluait une roue à faire tourner pour voir les résultats d’actions. Les Larmes du Cannibal utilise des cartes de tarot pour le MJ aussi. Deadlands a son bon vieux deck de poker, parce que oui on est contractuellement obligé de parler de Deadlands et on le vit bien. Et je présume qu’il y a d’autres possibilités, que je ne connais pas. A vous de les explorer et de trouver ce qui vous plaît ou non. Une chose est certaine dans cet aspect des core rules : vous allez devoir être bon en calculs et mathématiques, ordonner tout un système de probabilité et autres ça demande de savoir calculer, j’espère que vous avez des gens bons sur le sujet dans votre entourage.


Le gameplay : Une fois que vous savez avec quoi on décide, il est temps de définir qu’est-ce qui est en jeu ou non. Mince cette phrase sonnait mieux dans mon esprit qu’en vrai. La plupart du temps, jouer s’articule autour d’obstacles à surmonter, lesquels le sont souvent par un jet de dé et l’interprétation de son résultat. Ledit jet étant l’expression des attributs et capacités du personnage concerné par l’obstacle. Jusque-là tout va bien, la chose à faire est à présent de déterminer la forme d’expression des attributs et capacités mentionnés juste avant. Selon toute logique des valeurs numériques et autres quantités, ça c’est élémentaire. Mais la façon dont tout ça est couvert par les règles peut varier. Donjons & Dragons à l’ancienne tout était question de jet dépendant des attributs, une porte à ouvrir : dextérité, un livre à lire : intelligence, une devinette à comprendre : sagesse. Et ça n’allait pas plus loin, le temps a quand même raffiné un peu la formule. Le modèle des attributs est d’ailleurs toujours bien présent, que ce soit dans Warhammer, les nouvelles itérations de Donjons & Dragons, Pathfinder, Shadowrun et j’en passe. Mais ! Les quatre que je viens de mentionner-là ont fait entrer les compétences dans la sarabande, et à partir de là on entre dans une division des domaines assez intéressante … et très complexe. Je m’explique : si vous dites “à partir de maintenant telle compétence couvre tel domaine” fort bien, mais cela implique une répartition de ce que les joueurs peuvent faire ou ne pas faire avec plus ou moins de précision. Un bon exemple de ça c’est Deadlands Classique comparé à Deadlands Reloaded. Dans Classique le maniement de chaque arme est sa propre compétence, si vous voulez sabrer, boxer et jouer du couteau ce sont trois compétences différentes, dans lesquelles il faut investir séparément, une par une. Et croyez-moi, c’est beaucoup de points d’xp investis pour des choses dont on va pas nécessairement se servir d’emblée. Là où Reloaded … a une seule compétence : combat, qui recouvre toute interaction au corps à corps dont le but est d’infliger de la souffrance à son prochain avec quel instrument que ce soit. Vous voyez la différence j’imagine ? Et vous pouvez répéter ce cas de figure à quasi tout : tir ou armes à feu/lancer/arc ? Érudition ou différentes compétences de connaissances sur divers sujets ? S’il y a ou non de l’artisanat ? A noter que cette spécification ou justement allégement des règles peut avoir un effet alourdissant ou appauvrissant (c’est selon l’épaisseur du tout et la perception de chacun, il faut bien le préciser par contre) et ce potentiellement à l’encontre du fun de vos joueurs. Réfléchissez bien à ce que vous êtes prêt à gérer ou non et à quel point trop peut être trop. De plus rien ne vous empêche, et certains le font, de séparer les valeurs d’attributs de celles des compétences. Que celle-ci soient indexés ou justement non indexés sur la valeur d’attributs (selon l’exemple Donjons & Dragons votre crochetage pourrait être piteux alors que vous avez 18 en dextérité) que ce soit en terme de valeur numérique ou de type de dé si vous jouez sur un système à dés multiples. Savage Worlds par exemple fait ça, vos compétences dépendent d’un attribut qui les rend plus ou moins coûteuses à augmenter mais ne sont pas sur le même type de dé en fonction de votre progression. Une idée que j’aime bien je dois avouer.

Voyez votre gameplay de la même façon : si ça ne s'emboite pas c'est foutu

La classe ou pas ? : D’ailleurs en parlant de compétences … il y a également la question de savoir à qui elles appartiennent. Oui aux personnages bien évidemment, mais c’est un peu plus vaste que ça sinon je ne ferais pas un article sur le sujet ! Je vais être encore obligé de parler de Donjons & Dragons, hélas … Notre vénérable ancêtre a salement ancré dans la tête des gens le fait qu’un truc médiéval fantastique et par corrélation grossière les jeux de rôles se devait d’avoir des classes. Le guerrier/mage/voleur et tutti quanti, bien connu par les amateurs avec chacun ses prérogatives. C’est un modèle qui a ensuite beaucoup transpiré sur d’autres jeux, bien trop nombreux pour être listé et qui se retrouve facilement aujourd’hui. Je suis infoutu de vous dire qui a rompu le moule, je crois avoir lu une fois que c’était Champions ou G.U.R.P.S. et à amener ce qu’on appelle un classless système (oui encore une fois, le terme anglais parce que je préfère ça et pis voilà). Comme le nom l’indique le choix des compétences est entièrement décidé par le joueur. Ce sont deux écoles avec des philosophies très différentes : dans le cas des classes on a un système de niches qui est établi, chaque classe en investissant une ou est à cheval sur plusieurs selon la façon dont elle a été conçu (l’arcane trickster de Donjons & Dragons par exemple est un mélange de voleur et de mage, le skäld de Pathfinder est une combinaison de barbare et de barde, un bardbare quoi) et c’est au joueur de choisir quelle niche il veut occuper. En termes d’organisation c’est propre et net, on vous dit quoi fait quoi, vous choisissez et le chemin est linéaire, pour un débutant c’est du pain béni. Le problème est, pour moi, que ça peut vite devenir étouffant et restrictif, le clerc fait son boulot de clerc et le voleur son boulot de voleur, et si l’un essaye de faire celui de l’autre ça va être foireux. Ce système de niche amène aussi un effet vicieux : celui des tiers. Je garde le terme anglais à nouveau, je considère que dire gradin ou niveau n’est pas assez parlant. En gros les tiers sont un système utilisé par les fans de Donjons & Dragons pour classer la puissance et l’utilité des classes selon leurs versatilités ou justement leur absence de celle-ci. C’est biaisé d’une certaine façon puisque les magiciens arrivent forcément au sommet (ça me rappelle un article personnel ça …) mais la chose reste pertinente, notamment quand on y songe et qu’on voit que le cavalier et le gunsliger sont au sous-sol, ce qui est assez logique quand on songe à la rigidité qui va avec leurs niches. Et vu qu’une classe est un choix définitif c’est quand même assez facile d’avoir le sentiment d’être enfermé dans un rôle pourri. Le classless part dans le chemin inverse et peut d’une certaine façon créé l’exact inverse en termes de problèmes. N’étant pas contraint par un quelconque canevas chaque personnage peut faire ce qu’il veut et être bon là où il veut … ou pas justement. La possibilité de choisir ce qu’on veut peut amener facilement à prendre absolument n’importe quoi voir partir dans des directions opposées et antinomiques. Ou juste vouloir faire tellement de choses que l’on n’est bon en rien. Et le dernier point à considérer c’est que si tout le monde peut avoir accès à tout, théoriquement, personne n’a plus rien d’unique pour lui.

L'expérience : Et pour conclure le tout, la dernière question essentielle à poser : comment on améliore tout ça ? Quand je dis tout ça je parle du jeu et des classes ou non, pas de mon article, ce que je fais est naturellement parfait. Je parle de progression de personnage et de statistique évoqué dans la toute première partie. A nouveau il y a deux grandes écoles : les Points et les Niveaux. La première école favorise une évolution morceau par morceau si je puis dire. Chaque élément est traité à part et coûte un certain prix à augmenter et c’est au joueur de choisir à la carte s’il veut dépenser le moindre point qui lui passe à portée de main dans sa compétence de danse de la Saint Jean ou augmenter sa force et son agilité à parts égales. C’est en général le modèle idéal pour ceux qui ont une idée précise en tête de ce qu’ils veulent faire en jeu et le faire coller à leur historique de personnage, plus d’un y voit une incitation à la créativité vu qu’il n’y a aucune barrière. Les Niveaux eux sont plus linéaires : le personnage a une réserve de points d’expérience divisée en paliers, chaque fois qu’un palier est atteint le personnage passe dans la tranche supérieure et gagne un lot de bonus et d’améliorations innées et souvent quelques éléments qui sont laissés à sa discrétion (Donjons & Dragons 5 et ses spécialités de classes est un bon exemple). A l’inverse des points on a une progression balisée avec une flexibilité donnée à des instants T. Ça vous surprend si je vous dis que les Points servent beaucoup dans les systèmes classless et les Niveaux dans les systèmes à classes ? Si oui c’est que vous avez pas suivi la démonstration depuis le début, relisez tout et revenez ensuite.


Et on a plus ou moins fait ici le tour des core rules à mon humble avis. Ne vous en faites pas, on abordera ensemble d’autres points, notamment … LA BAGARRE une autre fois.

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